«L’excellence» a un prix et il est élevé…

14-06-2017

Stanford: profil de l’un des «meilleurs» établissements mondiaux:

L’université de Stanford en Californie est une des universités les plus réputées mondialement. Dans un cadre et des conditions exceptionnels, elle accueille et forme un peu plus de 16000 étudiants [1]. Quel est le budget annuel qui lui permet d’offrir à ses étudiants et leurs enseignants de telles conditions d’apprentissage et de travail ?

Le budget annuel de Stanford est de 5.2 milliards de $. Il provient essentiellement de quatre sources. 21% des fonds proviennent des revenus de son capital [2], 18% de financements sur projets (type financements offerts par l’ANR en France), 16% des frais d’inscriptions acquittés par les étudiants [3], enfin 16% des revenus des soins médicaux dispensés dans son hopital universitaire. D’autres sources complémentaires et de moindre importance viennent compléter ce budget.

Pour bien comprendre ce que cela signifie il suffit de constater que:

  • Le budget annuel de Stanford avoisine la moitié du budget annuel de l’ensemble des universités françaises [4],

  • le capital de Stanford est supérieur au budget annuel du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche,

  • le capital de Stanford est supérieur au capital du Programme d’investissements d’avenir PIA 1 placé à la banque de France pour financer l’ensemble des Idex, Equipex et Labex.

L’université de Stanford est seconde au désormais célèbre classement de Shanghai. Les dix premières universités de ce classement présentent un profil similaire [5]. Les cinq premiers établissements de ce classement dépensent plus que l’ensemble des établissements dépendant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. En 2014 ces établissements assuraient la formation d’un peu moins de 106 000 étudiants contre près de 2 000 000 pour la même somme en France. La figure 7 montre bien à quel point les budgets de nos universités sont ridicules comparés à ceux des universités dont rêvent nos gouvernants.

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Fig. 7 Budget total des universités rapporté au nombre de leurs étudiants. Les universités d’Île-de-France sont en bleu et les cinq premières universités du classement de Shanghai en rouge.

Dis-moi combien tu dépenses, je te dirai quel est ton rang

L’exemple de Stanford montre que figurer dans les premiers coûte cher, très cher. Vouloir de «l’excellence» à tout prix comme s’en gargarisent nos hommes et femmes politiques impose que l’on réfléchisse à ce qu’est cette excellence et de quoi elle dépend. Il existe toute une littérature scientifique sur le sujet [6]. L’important est que la notion d’excellence repose sur des indicateurs [7] parmi lesquels les plus importants sont le nombre de publications et le nombre de citations, d’un chercheur, d’un établissement ou d’un pays. Or, en couplant les données de l’OCDE sur les financements de la recherche des états et les données de diverses sources pour les indicateurs [12], on arrive à une conclusion sans appel: «l’excellence» d’un pays n’est ni plus ni moins que le reflet de son investissement financier.

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Fig. 8 Comparaison entre nombre de publications et investissement publique dans l’ESR des pays de l’OCDE entre 1996 et 2015.

La figure 8 montre que le nombre de publications d’un état dépend pour l’essentiel de la somme que cet état consacre à son ESR [8]. On voit que la France est parfaitement dans la tendance. Les chercheurs français sont donc tout à fait au niveau qu’ils doivent occuper. On voit en outre qu’entre 2002 et 2012, pour un investissement qui croit à peine, la part de la France décline légèrement à cause de la très forte croissance des publications d’un pays comme la Chine qui, sur cette période, a triplé son investissement dans l’ESR [9] et ce malgré des réformes comme la création de l’ANR, la loi LRU et le PIA1. La corrélation, flagrante et indépendante de l’année, montre en outre qu’il est malhonnête de vouloir faire croire que l’on peut changer de façon significative la place de la France dans le paysage international sans un investissement massif dans l’ESR.

Au risque de paraître vénal, l’«excellence» a donc tout simplement un prix en euros ou en dollars. La première chose à faire est de l’accepter et de reconnaître que la France «tient son rang» avant de lancer des réformes inutiles voire totalement contre productives. En second lieu il revient au gouvernement de décider si, dans ce contexte précis et pour quelles raisons, la France se donne, ou non, les moyens de ses ambitions : «rivaliser» avec les trois premières puissances mondiales.

Seule consolation : la France n’est pas la seule nation à devoir se poser cette question. La figure 9 représente la corrélation qui existe entre part des publications et part des investissements mondiaux des pays de l’OCDE [10] dans leur ESR. On voit de façon très claire que si l’investissement dans l’ESR stagne plupart des «grands pays» scientifique, il augmente très rapidement dans les pays émergents. À ce rythme il y a fort à parier que les classements internationaux, qui alimentent les fantasmes de nos élus et nos présidents d’établissements, ne seront plus les mêmes dans dix ans. On ne manquera pas alors de nous renvoyer à la parabole des rameurs [11]

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